Il y a 70 ans, un avion canadien s'écrasait à Sées
Roger Cornevin-Hayton, 15 ans en 1944, voit passer au-dessus de la cathédrale un bimoteur en feu. Après ce crash, qui fit six morts, il décide de percer le mystère de cet appareil fantôme.
Le 22 mai 1944, vers 23 h, je suis à ma fenêtre pour regarder les avions dans le ciel. Tout d'un coup, surgit un avion en flammes qui rase les maisons et passe derrière la cathédrale de Sées. Il vient d'Alençon. Puis j'entends un gros boum. Le lendemain, avec mon frère, nous allons à bicyclette sur le site du crash, à la Potence, à un kilomètre au nord de la ville. Il y a du monde pour voir ce spectacle affreux. Deux sentinelles barrent la route. Il faut ruser pour pénétrer sur le lieu de crash.
L'avion a le nez enfoncé dans le sol et la queue a été pulvérisée dans l'explosion. Les corps des victimes sont dispersés dans le champ et dans les haies. Le rapport d'un gendarme français stipule « avion inconnu, mais vraisemblablement allié ». Quelques jours avant le Débarquement, cet appareil est un avion fantôme.
Les années passent, je m'engage dans l'aéronaval comme personnel volant. Lors de mes vols, je ne parviens pas à enlever cette image de ma tête. Ce qui me sidère, c'est l'inactivité des Sagiens et de la municipalité par rapport à cet avion. Cinquante-quatre ans après, je décide de mener l'enquête. Le problème, c'est qu'en 1998, je ne me rappelle plus de la date du crash. Je me rends au cimetière et le gardien me montre une tombe où six aviateurs inconnus reposent. L'homme l'entretient depuis des années. Une date est inscrite : 22 mai 1944.
Les services de la Royal air force (RAF) me donnent le nom des six hommes de l'équipage : tous Canadiens ! Ils venaient de finir leur formation de vol et passaient leur baptême du feu. Leur mission, nom de code Nickel, était de larguer des tracts, avec cinq autres appareils, au-dessus d'Alençon.
Je relaye ces noms dans la presse. Deux Sagiens rapportent la photo d'un inconnu et une bague en or avec les initiales WGH gravées à l'intérieur. WGH, pour Wilfried Gordon Harris, sergent mitrailleur à bord. Un des témoins me raconte que l'avion a été touché par la DCA.
J'ai réussi à retrouver la famille de Wilfried Gordon Harris dans l'Ontario. Aux familles Harris, Hong, Wickoff, Jacques, Hopper et Goodwin, j'ai pu adresser une lettre explicative sur le lieu, les circonstances du crash.
Nous avons organisé en 2004 une cérémonie de remise de la bague de Wilfried Gordon Harris à sa famille. Une stèle en hommage à l'équipage canadien a été mise en place à proximité du lieu du crash. L'avion oublié ne l'était plus. »